A Londres, le CIO joue à Big Brother au service de ses sponsors
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A Londres, le CIO joue à Big Brother au service de ses sponsors
Le Monde.fr | 24.07.2012 à 11h00 • Mis à jour le 24.07.2012 à 11h59
Par Maxime Goldbaum
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Perdu dans le parc olympique de Londres, l'amateur de frites n'aura pas le choix. S'il souhaite déguster son mets favori, ce sera chez McDonalds ou rien. A moins qu'il n'ajoute du poisson pané à son en-cas... Sponsor officiel des JO, la chaîne de restauration rapide américaine sera en effet la seule autorisée à vendre des patates frites dans les enceintes accueillant les épreuves des Jeux. Même si, gastronomie locale oblige, une petite dérogation a été accordée pour les fameux fish and chips... Cette improbable règle a fait l'objet d'un accord signé entre le géant du fast-food et le comité d'organisation des Jeux, le Locog. Route, nourriture, moyens de paiement, réseaux sociaux, le CIO et ses partenaires ont imposé leurs règles à la capitale anglaise qui sera, le temps de cet évènement planétaire, sous juridiction olympique. Le parc olympique sera une cité dans la City.
"On assiste à une prise de contrôle par le CIO et par ses sponsors des espaces olympiques. Ils créent un système autarcique dans lesquels s'imposent, pour une durée déterminée, une loi d'exception, à l'image des lois antiterroristes, avance Patrick Clastres, historien des Jeux olympiques. Le CIO sécurise l'organisation même des jeux depuis trois olympiades. McDonalds nourrit les athlètes et les spectateurs, Coca les abreuve et Visa sécurise les paiements." Le CIO a également obtenu que des couloirs de circulation soient spécifiquement réservés aux membres du CIO et aux athlètes pour éviter le trafic dense de la capitale londonienne. Ballons, frisbees, vuvuzelas, sacs de pique-nique ou encore "drapeaux de pays ne participant pas aux JO" seront également strictement interdits dans le parc olympique. And last but not least, le comité d'organisation a mis en place une "branding police", spécialement chargée de protéger la marque olympique, et sur laquelle le quotidien The Guardian a mené l'enquête.
LE CIO EXIGE, LONDRES S'EXÉCUTE
Le contrat signé entre le CIO et les autorités londoniennes, un document de 76 pages, apparaît en effet drastique pour la ville hôte. Le CIO exige, Londres s'exécute. "Pour les Etats candidats, le CIO impose qu'ils adoptent une législation spécifique pour la protection des symboles olympiques. Chaque ville candidate doit ainsi annoncer comment elle compte protéger la marque olympique, que ce soit en adoptant une nouvelle loi ou en amendant une autre", avance Antoine Chéron, avocat spécialisé en droit de la propriété intellectuelle. Le législateur britannique a ainsi voté en 2006 le "London Olympic Games and Paralympic Games Act", qui complète une loi de 1995 pour étendre encore davantage la protection des droits de propriété intellectuelle liés à l'évènement, et créer des sanctions pénales spécifiques.
Il faut dire que les onze grands sponsors du CIO (Coca-Cola, Acer, Atos, Visa...) lui rapportent la bagatelle de 730 millions d'euros pour la période 2010-2012. Une politique marketing qui lui assure 45 % de ses revenus et dont il ne peut se passer pour assurer son fonctionnement. En moyenne, les 55 sponsors des JO 2012 ont versé 100 millions de dollars pour avoir le droit d'utiliser le logo des Jeux et récupérer l'évènement à des fins promotionnelles. Il n'est donc pas étonnant de voir le CIO leur octroyer certains avantages et chercher à "préserver la valeur de marques à la notoriété exceptionnelle et au pouvoir attractif très fortement convoité, lesquelles constituent l'une des bases du marketing olympique", poursuit Antoine Chéron.
L'AMBUSH MARKETING EN LIGNE DE MIRE
Mais aucun comité d'organisation n'avait jusqu'à aujourd'hui posé des restrictions aussi sévères pour court-circuiter "l'ambush marketing", ou "marketing en embuscade", qui consiste pour une marque à vouloir tirer profit d'un évènement dont il n'est pas partenaire. Un des plus fameux exemples d'ambush marketing eut lieu lors des Jeux de 1996 à Atlanta, ville mère de la firme Coca-Cola. Après la victoire de Marie-José Pérec, alors sous contrat avec Pepsi, la marque avait lancé une campagne avec pour slogan "Marie-José Pérec, représentante officielle d'une boisson non officielle à Atlanta". Cette même année, le sprinteur anglais Linford Christie avait également repoussé les limites en arborant des lentilles de contact siglées de son partenaire, qui n'était pas celui du CIO, lors d'une conférence de presse. Le lendemain, les yeux du champion olympique du 100 mètres en 1992 et le logo de la marque s'affichaient en une des quotidiens...
Cette pratique porte ses fruits. Pour 20 % des Britanniques, Mastercard est partenaire des Jeux olympiques, et pour 15 % des interrogés, Nike est l'équipementier des JO. Alors que, dans les deux cas, ce sont leurs concurrents directs, à savoir Visa et Adidas, qui sont en réalité associés au CIO. Mais le flou juridique entourant la notion d'ambush marketing a conduit les autorités olympiques à faire pression auprès des Etats accueillant les Jeux, pour que soit mise en place une législation ad hoc permettant la répression de ce type de pratiques.
LE CIO A BESOIN "D'UNE DICTATURE OU D'UN PAYS ULTRALIBÉRAL POUR IMPOSER SES RÈGLES"
L'avantage de telles lois réside dans le fait que c'est l'Etat accueillant l'évènement qui est en charge d'en faire respecter l'application et non le CIO, à travers notamment de contraignantes actions en concurrence déloyale ou en contrefaçon. Mais lors des Jeux de Londres seront également traqués les commerces de proximité qui cherchent à tirer profit de l'évènement en apposant un terme ou un symbole 'olympique' sur leur enseigne. Ainsi, l'Olympic Kebab, l'Olympic Bar ou le London Olympus Hotel sont passibles de sanctions pénales et d'amendes pouvant aller jusqu'à 20 000 livres. Et la branding police veille pour protéger un merchandising olympique qui devrait représenter 1,24 milliard d'euros.
Rue89 a également publié le témoignage édifiant d'un game maker, l'un des 200 000 volontaires chargés d'aider les visiteurs, transformé en "publicité ambulante des marques olympiques". Et, selon la BBC, 40 commerces jouxtant les sites olympiques vont entamer une action en justice pour les préjudices subis par l'effet "dévastateur" des Jeux sur leur activité. Le Locog a ainsi établi une zone d'exclusion de marques autour des principaux sites olympiques, où les publicités pour des marques autres que celles approuvées par les organisateurs sont interdites. Ces mesures existent depuis plusieurs olympiades mais "c'est la première fois que le verrouillage est total", avance Patrick Clastres, pour qui le CIO a besoin "d'une dictature ou d'un pays ultralibéral pour imposer ses règles".
TWEETS SOUS CONTRÔLE
L'ombre du "Big Brother" olympique s'étend également sur la Toile, et jusqu'aux réseaux sociaux. C'est ainsi que les athlètes ne pourront "tweeter" ou communiquer sur Facebook qu'à la première personne, sous forme de journal, mais "sans tenir le rôle de journaliste". Cette interdiction est étendue également à tout le public lors de la cérémonie d'ouverture et des épreuves sportives. Les mesures prises n'en sont pas moins nécessaires afin d'empêcher, d'une part, l'ambush marketing et, d'autre part, de garantir l'exclusivité des diffuseurs de l'évènement. Antoine Chéron tempère toutefois la portée de telles mesures car "le CIO n'a pas intérêt à s'attirer les foudres des athlètes ou de la communauté Internet dans son ensemble. Au surplus, il semble peu probable qu'il dispose des moyens humains et techniques nécessaires afin de mettre en place une surveillance efficace des réseaux sociaux", note l'avocat.
Difficile d'imaginer qu'avant 1981 et le traité de Nairobi, qui formalisait la protection légale des symboles olympiques, l'organisation des Jeux faisait l'objet d'un simple gentleman agreement au cours d'une réunion informelle entre dirigeants. A l'époque, le CIO n'avait pas de statut juridique propre et ne comptait qu'une poignée d'employés dans ses rangs. Depuis, l'Espagnol Juan Antonio Samaranch, tout-puissant seigneur des anneaux olympiques jusqu'en 2001, a fait basculer l'olympisme de l'amateurisme au professionnalisme. Le CIO est devenue une ONG de droit privé suisse, tentaculaire, qui règne sans partage sur les villes hôtes, et pour laquelle l'essentiel, c'est d'organiser...
Maxime Goldbaum
[aparté]
"On ne fait rien de plus que de vendre des soutiens-gorge !"
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La branding police est déjà à l'œuvre, et effectue son travail avec zèle. Les amateurs de souvenirs originaux risquent en revanche de chercher longtemps. Des tee-shirts montrant les Beatles portant les anneaux olympiques sur le célèbre passage piéton d'Abbey Road ont été aperçus sur un marché de la capitale. Mais les inspecteurs veillent, et les objets litigieux ont vite disparu.
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Autre exemple édifiant : un boucher de Weymouth, dans le sud de l'Angleterre, a fait la "une" de la presse pour avoir été contraint d'ôter de sa vitrine un chapelet de saucisses élégamment arrangées en anneaux olympiques. Une boutique de lingerie a aussi dû retirer des cerceaux suspendus en vitrine au milieu des petites culottes et soutiens-gorge. Dorothy Weston, vendeuse chez JJ's Lingerie, explique que des inspecteurs ont fait irruption dans la boutique le jour où la flamme olympique traversait la ville de Melton Mowbray pour lui demander d'ôter les cerceaux. "Ils ont dit que cela contrevenait aux règles de protection du logo olympique... et que je risquais une amende ou même la prison", décrit-elle, "complètement choquée". "On ne fait rien de plus que vendre des soutiens-gorge", s'est-elle insurgée.
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Devant certains excès de zèle, le secrétaire d'Etat aux Jeux olympiques, Hugh Robertson, a insisté mercredi pour que les infractions soient traitées "avec mesure" et "au cas par cas". "J'ai donné la consigne que la loi soit appliquée de manière raisonnable et proportionnée", a-t-il précisé, à propos des pâtissiers qui rivalisent d'imagination pour décorer leurs gâteaux d'anneaux olympiques.
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